Mafia en France : peut-on réellement parler d’une mafia française ?

Loin des cartels colombiens et des mafias violentes de Russie, la France n’est pas épargnée par le crime organisé. De la Corse à Paris et de Toulon à Nice en passant par Marseille, la mafia en France prospère à l’abri des regards. La violence et les trafics ne sont pas aussi visibles qu’en Italie avec ses mafias, ses rites et ses parrains, mais le crime organisé français tisse des liens dangereux avec nos élites. D’ailleurs en France, on évite le mot « mafia » et nos dirigeants préfèrent utiliser l’appellation de « grand banditisme » qui fait sûrement moins peur à la population.

Manuel Valls parle de mafia corse

Manuel Valls parle de mafia en Corse

En 2012 pourtant, Manuel Valls n’hésitait pas à employer le mot « mafia » pour désigner le milieu corse. Il s’était exprimé en ces termes au lendemain de l’assassinat, à Ajaccio, de l’avocat d’Antoine Sollacaro. Cet avocat célèbre en Corse n’était autre que l’ancien avocat d’Yvan Colonna, militant dans des mouvements nationalistes proches du FLNC et condamné pour l’assassinat du préfet Claude Erignac.

« En France, on nie le crime organisé comme on nie la corruption, alors que se développent très clairement des logiques mafieuses sur le territoire, et pas seulement en Corse »

Bernard Petit (ex directeur de la PJ mis en examen dans une affaire d’escroquerie et de corruption)

La Corse : région la plus criminogène d’Europe.

La Corse est peut-être la seule région de France où la mafia en tant que telle existe réellement. La criminalité sur l’île est de plus en plus infiltrée dans la société, l’économie et la politique. Il est loin le temps des règlements de comptes et des duels entre le sud et le nord de la Corse.

L’Île de Beauté a même glané le titre de région la plus criminogène d’Europe. Elle dépasse même la région de Sicile pourtant habituée à la première position puisque berceau de la mafia. Depuis trente ans, ce n’est pas moins de 371 personnes qui ont été assassinées dont onze représentants de l’État  (maires, préfets, avocats…).

Obsèques parrain Corse

Obsèque de Pierre-Marie Santucci, un des piliers de la Brise de mer

La Corse a longtemps vécu en marge de la société et des autres régions françaises. Le peuple Corse se sentant rejeté par la France s’est rattaché à ses valeurs traditionnelles : culture des armes, clientélisme, sens de l’honneur, orgueil… Cependant et à l’inverse des mafias italiennes, le crime organisé en Corse n’est pas organisé en Famille. Les groupes créés se forment et se déforment au gré des assassinats des membres et des chefs de clans et des arrestations perpétuées par la justice.  Autre particularité, le milieu est récent et s’est formé sur le continent (entre Marseille, la Côte d’Azur et Paris). Si l’on se fit à la définition de la mafia : la Corse en fait partie. Ses clans se font justice eux même et ses groupes mafieux sont clairement implantés dans le tissu économique et politique de l’Île.

En 2012,  l’assassinat de l’avocat Antoine Sollacaro va marquer une étape importante de la lutte de l’Etat français contre le crime organisé. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault va alors énoncer plusieurs mesures pour faire reculer la mafia en Corse :

  • la création d’une cellule interministérielle de coordination qui décidera notamment de missions d’inspection et de soutien au préfet de Corse et aux services territoriaux de l’État pour l’exercice de leur mission de contrôle.
  • l’affectation de 14 enquêteurs spécialisés supplémentaires pour identifier les circuits mafieux et enquêter sur les mouvements de patrimoine et les flux financiers irréguliers.
  • le renforcement du GIR (Groupement d’Intervention Régional).
  • le renforcement de la coordination entre les parquets.
  • le renforcement en juge d’instruction du pôle économique et financier de Bastia.

Une délinquance mafieuse à Marseille ?

Marseille est la ville qui a révélé les plus importants mafieux de France. Aujourd’hui, « grands parrains marseillais » ont laissé leur place aux caïds venus des banlieues marseillaises. Bernard Barresi, arrêté en 2010, est d’ailleurs nommé comme le dernier parrain de Marseille à moins que ça ne soit Francis le Belge, assassiné en 2010 ? Le premier n’avait en tout cas pas la même emprise sur la ville que ses prédécesseurs.

La mafia à Marseille est née en 1930 et la ville était alors tenue par le duo de parrains François Spirito et Paul Carbone. Ce sont les premiers à s’être infiltrés dans les entreprises et les services juridiques locaux. Cette emprise sur la ville et ce système d’organisations hiérarchisées serviront d’exemple pour les futurs mafieux de la ville. Marseille se fait un nom à cette époque et devient la « capitale du crime en France ».

Francis le BelgeTrente ans plus tard, la French Connection fait son apparition. Pendant plus d’une dizaine d’années, les malfrats marseillais vont remplir leurs comptes en banque avec la mise en place d’un juteux trafic international d’héroïne à destination des États-Unis. Démantelée par les autorités franco-américaine, la fin de la French Connection marquera le début d’affrontements sanglants à Marseille. Francis le Belge (à gauche sur la photo) en sortira vainqueur ou plutôt « vivant » mais finira tout de même par se faire tuer le 27 septembre 2010 dans un café de course de standing « L’Artois Club » à Paris. Les frères Hornec furent soupçonnés du crime, mais celui-ci ne sera jamais élucidé.

Le 21ème siècle marque le début d’une nouvelle ère pour la mafia locale et le trafic de cannabis explose dans les quartiers les plus défavorisés de Marseille. Les caïds remplacent les « parrains » mais curieusement, c’est Farid Berrahma, ancien lieutenant de Francis le Belge qui dominera ce nouveau milieu appelé de « néo-banditisme de cité ». Alors que ses affaires marchaient plutôt bien, il se fera piéger sur son propre terrain : les machines à sous. Finalement, en 2006, Ange-Toussaint Federici (mafieux corse) enverra un commando pour assassiner Farid Berrahma.

À la mort de Farid Berrahma, une guerre des clans éclate à Marseille pour la reconquête du milieu, des trafics et des territoires. Les caïds des cités semblent s’affaiblir au fil des années et des morts, mais le trafic de cannabis leur permet de se construire un véritable empire. Aujourd’hui, les chefs de clans des cités semblent désormais détenir le pouvoir au sein du milieu marseillais. À l’inverse, les anciennes figures mafieuses de Marseille ont très clairement perdu leur influence. Pour preuve et depuis 2012, des alliances voient le jour entre mafieux corso-marseillais issus du milieu traditionnel et chefs du néo-banditisme.

Même si on est encore loin du modèle de la Camorra, les banlieues de Marseille ressemblent étrangement à celle de Naples. Le « charbonnier » (dealer) à Marseille ne serait-il pas une copie conforme du « pusher » à Naple ? Le « chouf » (guetteur) aurait-il un lien avec la « vedetta » ? Seuls les noms changent… La Camorra en vient même à se fournir en cocaïne chez les grossistes marseillais. Il faut agir et vite, il y a urgence !

Lyon n’est pas épargnée par la mafia

Pendant de nombreuses années, la ville de Lyon fut sous l’emprise de clan mafieux et à ce petit jeu, le « gang des Lyonnais » est évidemment le plus célèbre, notamment pour ses braquages. Edmond Vidal était l’un des membres du gang qui régnait sur une ville partagée entre braqueurs d’un côté et proxénètes de l’autre.

Si le milieu lyonnais n’a surement pas disparu, il a clairement évolué, se faisant plus discret qu’à l’époque d’Edmond Vidal. L’époque des braquages efficaces et réfléchis a laissé place à des hold-up violents réalisés par des jeunes de la banlieue lyonnaise. Le dernier braquage important à Lyon remonte au 24 septembre 2010 : 5 hommes dissimulés sous une cagoule et armés de fusil d’assaut s’étaient attaqués à un bureau de change en plein centre ville. Les quatre malfrats ont été jugés à de lourdes peines en avril 2014 (15 à 18 ans de prison).

Le milieu lyonnais semble se faire plus discret depuis 2012, date à laquelle les vols à main armés ont littéralement chuté dans l’agglomération (137 en 2012 contre 259 en 2011). Pour la petite anecdote, non-glorieuse, la ville de Lyon était autrefois baptisée « Chicago-sur-Rhône » par la presse étrangère. Cette époque semble bel et bien révolue même si la mafia est toujours présente à Lyon.

C’est en 1973 que la guerre éclate du côté de Lyon. Jean Augé, le « parrain » du milieu lyonnais est assassiné. Une trentaine de morts suivront assassinés dans des règlements de compte violent. En 1975, c’est le juge Renaud (dit le shérif), magistrat en activité, qui est tué de façon très brutale : une balle dans le dos, une dans le coup et dans la nuque puis trois autres dans la tête. Sa femme présente lors de l’attaque survivra miraculeusement. C’est d’ailleurs, elle, qui donnera l’alerte. François Renaud est le premier magistrat français à être assassiné depuis l’occupation française par les Allemands.

Le Juge - François Renaud

L’histoire du juge François Renaud retranscrite en BD

Dix ans plus tard, Lyon défraie encore la chronique avec l’assassinat des « Daltons » composés des frères Roche, Régis et Alain Serge et de trois anciens membres du gang des Lyonnais. Depuis, c’est le néant ou presque. Les règlements de compte sont beaucoup plus rares mais la mafia est bien là et prospère dans l’ombre des médias, des journalistes et de la police.

Gang des Lyonnais

Le mythique Gang des Lyonnais

Lyon s’est reconverti dans le trafic international de cannabis et serait même devenue la plaque tournant de l’Hexagone. Les mafieux lyonnais sont également à l’origine du « Go Fast », technique consistant à ramener la came en grosse berline et lancée à toute allure depuis un point A vers un point B. La plupart du temps, la marchandise provient d’Espagne qui provient elle-même des pays du Maghreb.

Dernièrement à Lyon, ce sont les fameux « Les Vory v zakone » (les voleurs dans la loi) qui sont dans le viseur des enquêteurs du Rhône. Ces organisations criminelles ultra-hiérarchisées et issues de l’ex-URSS seraient impliquées dans des trafics plus subtils liés à de faux virements bancaires.

Le milieu niçois et toulonnais : de l’histoire ancienne ?

Jean-Louis Fargette ToulonÀ Toulon aussi la mafia a connu ses heures de gloire, sous l’influence de son parrain Jean-Louis Fargette, éliminé le 18 mars 1993. Son corps fut retrouvé criblé de cinq balles de calibre 357 Magnum. Le 23 mars de cette même année, l’enterrement de Jean-Louis Fargette rassemblait plus de 1500 personnes. Une cérémonie digne des obsèques d’un parrain sicilien. La mort de cette figure toulonnaise allait marquer la fin du milieu toulonnais. Aucun parrain digne de ce nom ne semble en tout cas avoir repris la main sur la ville et sur ses trafics.

Avant la mort de ce dernier « boss » ou du « Grand » comme on l’appelait ici, le Var était soumis à un système mafieux à l’italienne. Le milieu toulonnais qui était partout aurait depuis totalement disparu selon la plupart des spécialistes.

L’histoire de la mafia toulonnaise a débuté en 1960 sous le règne de « Louis Régnier » dit « Loulou ». Ce parrain s’est offert la main mise sur la ville de Toulon grâce à la prostitution. Il faut dire que la ville attirait à l’époque les marins des escadres américaines et françaises venus se détendre… « Loulou » est condamné à la perpétuité en 1958 pour le meurtre d’un souteneur grenoblois, mais sera acquitté faute de preuves. C’est un des rares parrains à s’être éteint (en 2003) en gardant son casier judiciaire vierge malgré plusieurs interpellations dans des dossiers de trafic de drogue et de proxénétisme. Louis Régnier est également connu pour avoir appuyé les campagnes électorales du sénateur-maire Maurice Arreckx. Avant sa mort, Louis Régnier avait pris le temps de former son successeur Jean-Louis Fargette. Certains affirment d’ailleurs que le jeune Jean-Louis serait allait délivrer « Loulou » retenu alors par des truands italiens. Rumeur ou intox, personne ne le saura jamais.

Jean-Louis Fargette repris donc les affaires de son père spirituel dans les années 70 caché sous la tenue du bon patron des Caves varoises. L’argent de la prostitution sera réinvesti dans les machines à sous clandestines et les établissements de nuit en plein essor à cette époque. Après la mort de Jean-Louis Fargette, un certain Gérard Finale aurait tenté de reprendre le flambeau de Toulon, mais l’assassinat de Yann Piat qu’il avait lui-même commandité le 25 février 1994 lui vaudra la prison à perpétuité. Yann Piat était devenue l’obsession de Fargette qui la trouvait un peu trop entreprenante. Le « Grand » ne cessera jusqu’à sa mort de tenter de la faire couler politiquement en évoquant divers complots. Yann Piat fut la première femme députée assassinée en France et la deuxième élue abattue dans le Var en douze ans.

Yann Piat, chronique d'un assassinat

Yann Piat, chronique d’un assassinat (Film de 2012)

Depuis cette affaire, la sécurité des marchés publics s’est clairement renforcée dans le Var et Toulon n’intéresse donc plus les mafieux. La prostitution s’est quasi éteinte et de nombreux établissements de nuit et les bars à hôtesses ont dû fermer.

De l’autre côté de Marseille, à Nice, la donne est différente. Le milieu niçois serait sur le déclin, mais la criminalité internationale est toujours bien présente sur la baie des Anges.

Michel Soret était présenté en 2015 comme le dernier parrain niçois par l’Express. Aujourd’hui, personne ne semble avoir repris le flambeau sur la ville de Nice. Pourtant, la Promenade des Anglais compte toujours ses caïds, mais ces derniers ne sont certainement pas issus de la région. Ces mafieux trouvent plutôt leur origine du côté de la Calabre, de la Tchétchénie ou des banlieues de Moscou. Le milieu niçois est donc mis de côté au profit de ces mafias internationales.

Les réseaux de prostitution à Nice reste un fléau pour la ville. Christian Estrosi s’en agaçait d’ailleurs en 2011 lorsqu’il était maire de la ville mais, l’emplacement géographique de la Nice, située entre la Grèce et l’Espagne, semble malheureusement être un terrain idéal pour le commerce de la chair.

Nice est surtout réputée pour être le dortoir des mafias italiennes. De nombreux mafieux calabrais et siciliens ont été arrêtés du côté de la Côte d’Azur :

  • Paolo Di Stephano (arrêté en novembre 1982)
  • Antonino Caldéronne (arrêté en 1986)
  • Pasquale Pergola (arrêté en 1986)

Un sommet des chefs mafieux s’était même tenu dans les salons du Negresco avec quelques figures bien connues du milieu : Paolo de Stephano, Pepe Morabito, Domenico Libri, Michel Zaza, Lorenzo Nuvoletta…

Hotel Negresco et la mafia italienne

Imaginez un sommet mafieux dans cet hôtel niçois : terrifiant n’est ce pas ?

La ville de Nice fut également pendant longtemps témoin de grosses affaires avec notamment le casse du siècle par les égouts à la Société Générale. Mais la ville de Nice ne génère pas son propre milieu comme l’expliquait Bruno Aubry (journaliste et spécialiste de la Côte d’Azur). Pour lui, Nice est surtout sous l’influence de sa grande sœur : la ville de Marseille.

En Conclusion

La mafia en France a longtemps prospéré à l’abri des regards et/ou de la justice. De grandes figures françaises se sont imposées comme « parrain » dans leur ville respectif. La Corse mise à part, la mafia en France semble plus proche du grand banditisme que de la mafia super-organisée avec ses rites et ses coutumes. La France semble surtout gangrenée par les mafias internationales (italiennes, russes, bulgares, roumaines…) qui prospèrent en toute impunité sur le sol français.

La faute à qui ? Aux pays d’origine de ces mafias ? À l’État français ? Aux associations, aux élus, à la population ? Tout le monde semble avoir sa part de responsabilité dans ce fléau qui ne cesse de se développer.