Andres Escobar : du rêve au cauchemar

Andres Escobar
Dans le football, contrairement aux combats de bêtes sauvages, la mort n’existe pas. Personne ne meurt, personne ne se fait tuer. Il n’y a que du plaisir

ANDRES ESCOBAR

Le 2 décembre 1993, Pablo Escobar est abattu. Après une longue chasse à l’homme, Hugo Martinez et son armée mettent fin à la terreur que fait régner le chef du cartel de Medellin depuis sa sortie de prison.

El Patron, qui a commencé sa carrière de criminel par le vol de pierres tombales, atteint les sommets du pouvoir et de la richesse à la fin des années 80. Classé septième fortune mondiale en 1989 par le magazine américain Forbes, Escobar transforme la pâte de coca en cocaïne et la cocaïne en billets. A tel point qu’il est plus difficile pour lui de dépenser son cash que de le gagner. Pour blanchir tout cet argent sale, il corrompt des banquiers, et investit dans des affaires difficiles à quantifier.

L’une d’entre elle lui permet d’allier l’utile à l’agréable pour ce passionné de ballon rond qu’est Pablo Escobar. Il investit dans des clubs de foot et devient entre autre le principal actionnaire de l’Atletico Nacional de Medellin qui remporte la Copa Libertadores en 1989. Le pouvoir financier du narcotrafiquant permet à son équipe d’aligner des joueurs de niveau mondial, comme Andrés Escobar.

Malgré son patronyme, ce dernier, né à Medellin en 1967 n’a aucun lien de parenté avec le parrain de la ville. Connu et reconnu pour ses performances en défense centrale et pour son élégance, le « gentleman du football » était un homme généreux avec les enfants défavorisés de sa ville. Il honore sa première sélection en 1988 au sein d’une génération dorée qui aura à cœur de briller au mondial 1994 pour effacer, le temps de la compétition au moins, l’image d’une Colombie violente et gangréné par le trafic de drogue.

Le gentleman du footballl

Andres Escobar : le gentleman du football

En juin 1994, les cafeteros s’envolent pour les Etats-Unis avec une armada de joueurs taillés pour jouer le titre. Carlos Valderrama à la technique aussi légendaire que la tignasse, Escobar en rempart défensif, Asprilla et Valencia pour planter les buts. Mais un nom manque à la liste. René Higuita. En effet, le fantasque gardien de but qui inventera le coup du scorpion lors d’un match amical face à l’Angleterre à Wembley en 1995, est en prison pour avoir copulé avec une prostituée mineure. Higuita est un ami relativement proche de Pablo Escobar, à qui il assumait publiquement de rendre visite dans sa prison dorée, la cathédrale. Il fait bon être ami avec le plus grand baron de la drogue quand on est un cocaïnomane notoire ! Il sera d’ailleurs contrôlé positif à la coke en 2004.

La sélection colombienne débute le tournoi par une défaite aussi lourde qu’inattendue face à la Roumanie. Après la rencontre, les joueurs apprennent que le frère de leur numéro quatre, Luis Fernando Herrera s’est fait tué dans le champ de tir urbain qu’est Medellin.

Le second match, décisif, les oppose aux Etats Unis devant plus de 93000 spectateurs au Rose Bowl, dans la banlieue de Los Angeles. Mais les colombiens abordent ce match la peur au ventre. Le sélectionneur, Francisco Maturana et son adjoint annoncent aux joueurs qu’ils ont reçu des menaces. Si Barrabas Gomez joue, certains membres de l’équipe mourront.

Les entraîneurs cèdent à la pression, et le joueur en question met un terme à sa carrière peu de temps après, pour préserver sa vie et celle de sa famille. La rencontre débute à 16h35 heure locale. Dès la 34ème minute de jeu, Andrés Escobar ouvre le score par un tacle glissé qui trompe parfaitement son propre gardien. Un scénario cauchemardesque. Le pays organisateur s’impose finalement deux buts à un. Escobar offre la victoire aux gringos et augmente la tension, déjà palpable au sein du groupe.

CSC Andres Escobar

Le CSC d’Andres Escobar

Le 26 juin, la Colombie remporte le troisième match deux-zéro contre la Suisse, mais le mal est fait. Les ex favoris du tournoi sont éliminés et craignent pour leur vie. Barrabas, propose à Andrés Escobar de l’accompagner à Las Vegas en attendant que le temps fasse son effet, mais Andrés refuse et rentre à Medellin. Il doit se marier avant de faire ses valises pour Milan.

La situation étant ce qu’elle est à Medellin, il semble évident qu’il est risqué de sortir dans cette ville qui sent la poudre et la charogne. Dans la nuit du premier au deux juillet, par inconscience probablement, le « coupable » de l’élimination pour beaucoup, décide de sortir avec Juan Jairo Galeano, son coéquipier, et deux amies. Ils se rendent dans une discothèque de la ville, El Indio.

El Indio via Las Palmas

El Indio via Las Palmas

Pedro Gallon et son frère Santiago, tous deux vendeurs de came se trouvent à une table voisine et crient « Traitre, Andrés, traitre ». Avec calme, Escobar leur demande un peu de respect. La soirée se poursuit. Quand Andrés, au volant de sa voiture s’apprête à partir, il aperçoit les frères Gallon sur le parking et va discuter avec eux pour mettre les choses au clair. Les narcos lui reprochent d’avoir éliminé la Colombie. Le ton monte mais aucune bagarre n’éclate. « Vous ne savez pas à qui vous avez affaire » répète en criant Santiago Gallon quand soudain, un homme descend d’une camionnette, s’approche de la voiture du footballeur et lui tire dessus à six reprises. Il est environ 3h20 du matin et Andrés s’éteint d’une mort violente. Six balles dans le crâne pour un crime qu’il n’a pas commis. L’assassin aurait crié gol à chaque cartouche tirée.

Cet homme est Humberto Munoz Castro, le chauffeur des Gallon. Il reconnait rapidement le meurtre et sera condamné à une peine de prison de 43 ans. Les proches de la victime pensent à un deal entre les Gallon et le procureur, pour faire porter le chapeau à leur gorille, moyennant 3 millions de dollar. Il va de soit que nous nous abstiendrons bien de juger ceux qui doutaient de la justice colombienne dans les années 80 et 90. Quoi qu’il en soit, Humberto Munoz Castro sera libéré pour bonne conduite en 2005, soit seulement onze ans après les faits.

Les raisons précisent de sa mort restent cependant controversées. Est-ce la vengeance de gros parieurs qui avaient misé sur l’équipe colombienne ? Ou un simple fait divers (Castro a affirmé ne pas avoir reconnu Andrés au moment d’appuyer sur la gâchette), l’issue classique d’une querelle qui se règle, comme il était de coutume en Colombie, à coups de calibre ? Dans les deux cas la tristesse est immense.

L’équivalent d’un stade assiste aux funérailles du défenseur (entre 80 000 et 120 000 personnes selon les sources) dont le président colombien de l’époque, César Gaviria qui mena une lutte intense contre Pablo Escobar. Fin tragique pour ce bel athlète qui devait rejoindre le Milan AC, le grand Milan, celui de Silvio Berlusconi, tout juste vainqueur de la ligue des champions.

L’ultime question que pose l’assassinat d’Andrés, est de savoir si Pablo aurait permis un tel acte de son vivant. Pendant les derniers mois de sa vie, les seuls objectifs de Pablo étaient de prendre des nouvelles de sa femme et de ses enfants et de tenter de repousser sa mort le plus possible. Le foot et les paris sportifs n’étaient plus sa priorité. Mais à l’époque de sa toute puissance, Pablo n’aurait certainement pas donné son aval pour tuer son homonyme. D’une, car Andrés était l’un de ses joueurs de l’Atletico Nacional, et de deux, car il n’était pas assez stupide pour éliminer une personnalité publique.

Au sein du crime organisé, les parrains font office de juge de paix, et à l’inverse des sicarios, ils pensent aux conséquences que pourrait avoir un meurtre sur leur réputation et sur leurs affaires. Mais ce raisonnement n’est qu’une fiction intellectuelle…

Escobar qui déclarait après le match face aux USA : « C’est le football, la vie continue » avait sous estimé les liens unissant les narcos au foot. A cette époque, le sens de la vie ne relevait pas de la philosophie, dans la ville la plus criminogène au monde. Vivre ou mourir revenait à jouer à pile ou face une fois que l’on eut touché du doigt, même involontairement la mafia. Andrés Escobar avait beau être comparé à un gentleman et gâter les enfants dans le besoin à noël, il appartenait au narcofootball, et même s’il gardait une certaine distance avec les bandits, ses revenus provenaient indirectement du trafic de coke.

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